La Loi sur l’équité salariale démystifiée
La Loi sur l’équité salariale a 28 ans. Malgré certaines avancées, le combat pour obtenir un salaire égal pour un emploi équivalent en est un de tous les instants. Si l’enjeu n’est pas simple à comprendre, les raisons expliquant que des iniquités persistent le sont encore moins. Petit tour d’horizon pour démystifier la question.
Les deux termes sont souvent confondus, mais leur signification est différente. L’égalité salariale signifie que des personnes salariées qui occupent le même emploi dans une même entreprise obtiennent le même salaire.
L’équité salariale signifie, quant à elle, qu’une personne qui occupe un emploi à prédominance féminine doit recevoir le même salaire qu’une autre qui occupe un emploi à prédominance masculine de valeur équivalente (en termes de qualifications, de responsabilités, d’effort et de conditions de travail) dans une même entreprise.
Un emploi à prédominance féminine est traditionnellement ou majoritairement occupé par des femmes, par exemple : infirmière, psychologue, secrétaire et bibliothécaire.
À l’inverse, un emploi à prédominance masculine est traditionnellement ou majoritairement occupé par des hommes, par exemple : chauffeur, concierge, mécanicien et technicien en audiovisuel.
La Loi sur l’équité salariale (LES), adoptée en 1996, est un droit fondamental. Elle oblige toutes les entreprises de 10 employés et plus, sous compétence québécoise, à réaliser des travaux afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’écart salarial dû à la discrimination systémique fondée sur le sexe. Le cas échéant, la Loi les oblige à corriger la situation.
Ce sont les stéréotypes et les préjugés sur le rôle des femmes et la valeur de leur travail. À une certaine époque, les femmes occupaient surtout des emplois perçus comme le prolongement de leurs tâches à la maison (éduquer les enfants, prendre soin des autres, etc.) et les qualités qui y étaient associées ont longtemps été dévalorisées pour cette raison. Le salaire des femmes était également considéré comme un revenu d’appoint. Il était donc moins élevé que celui des hommes, qui étaient considérés par la société comme pourvoyeurs de leur famille. La discrimination fondée sur le sexe s’est donc historiquement insérée dans la rémunération des femmes.
La Loi exige que les employeurs – le Conseil du trésor pour les travailleuses et les travailleurs du secteur public – réalisent tous les cinq ans des travaux afin d’assurer le maintien de l’équité salariale.
Ces travaux permettent d’identifier les changements ou évènements (ou l’absence de changements ou d’évènements) susceptibles d’avoir créé des écarts salariaux entre les catégories d’emploi à prédominance féminine et celles à prédominance masculine.
Lorsque l’employeur a terminé l’évaluation du maintien, il doit mettre en place un processus de participation (s’il n’a pas mis sur pied un comité de maintien de l’équité salariale).
Ce processus permet aux représentantes et représentants des personnes salariées d’obtenir de l’information sur la façon dont l’employeur a réalisé son exercice de maintien de l’équité salariale. Les personnes salariées peuvent alors commenter le travail réalisé par l’employeur et poser des questions afin de mieux le comprendre.
Celui-ci doit, par la suite, procéder à l’affichage des résultats de ses travaux et apporter les correctifs salariaux requis, s’il y a lieu.
L’affichage permet d’informer le personnel de la réalisation d’une évaluation pour le maintien de l’équité salariale et des résultats de cette évaluation. Il comprend, notamment, la liste des évènements ayant généré des ajustements (par exemple, l’ajout ou le retrait d’une catégorie d’emploi), la liste des catégories d’emploi à prédominance féminine qui ont droit à des ajustements, le pourcentage ou le montant des ajustements à verser, etc.
Jusqu’en 2009, la LES stipulait que les employeurs devaient maintenir l’équité salariale en continu et apporter les ajustements nécessaires, sans toutefois préciser les modalités d’évaluation. Afin de mieux structurer le processus, le gouvernement (législateur) a décidé de transformer l’obligation du maintien en continu en maintien périodique (tous les cinq ans).
Le Conseil du trésor a réalisé ses travaux de maintien en 2010 et en 2015 pour les personnes salariées du secteur public. Pour ce qui est des travaux de maintien de 2020, le Conseil du trésor a procédé seul à son évaluation. Il a réalisé un processus de participation puis procédé aux affichages le 20 décembre 2023 et le 19 mars 2024.
Depuis son adoption, la LES a eu des effets positifs directs pour les personnes salariées du secteur public. Entre 2000 et 2015, par exemple, l’écart salarial moyen entre les femmes et les hommes est passé de 16,5 % à 9,9 %.
En 2006, près de 326 000 travailleuses et travailleurs des secteurs public et parapublic ont reçu des ajustements salariaux de l’ordre de 2,94 % à 13,65 %. D’autres travaux dans ces deux secteurs ont permis d’apporter des correctifs de 4,16 % à 6,49 % à plus de 450 000 personnes.
Malgré une diminution de l’écart salarial depuis l’adoption de la LES, les hommes gagnent toujours 9,66 % de plus que les femmes. C’est dire que les femmes voient leur salaire horaire retranché de 2,96 $ comparativement à leur homologue masculin. Dans une société comme la nôtre, où l’équité constitue un droit fondamental, ces disparités n’ont pas de sens.
La CSQ a questionné le Conseil du trésor sur la démarche entreprise pour effectuer les travaux de maintien de 2010, 2015 et 2020 pour les personnes salariées du secteur public. Elle a ensuite analysé les données, vérifié les résultats des travaux et communiqué à ses fédérations ces renseignements et ses préoccupations au sujet des diverses catégories d’emploi.
De concert avec les fédérations, des syndicats locaux ont déposé des plaintes de maintien à la Commission de l’équité salariale, responsable de surveiller l’application de la LES. À noter qu’aujourd’hui, c’est la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui applique cette loi.
La Centrale a mis en place des comités internes de coordination des plaintes de maintien afin de travailler étroitement avec ses fédérations et de transmettre l’information concernant les catégories d’emploi pour lesquelles des plaintes ont été déposées ainsi que le traitement de celles-ci.
- Plaintes de maintien de 2010La CSQ a participé, avec ses fédérations, au processus de conciliation avec des représentantes et représentants d’autres organisations syndicales et du Conseil du trésor ainsi que des personnes conciliatrices de la Commission de l’équité salariale. Les travaux de conciliation ont débuté en 2013. La Centrale et ses fédérations concernées ont mis toutes leurs énergies au fil des ans à régler les plaintes en lien avec le maintien de 2010. Ce n’est finalement qu’en juin 2021 que des ententes ont été signées par certaines fédérations. La CNESST a rendu une décision le 28 septembre 2023 concernant les plaintes toujours pendantes en lien avec le M2010. Cette décision fait l’objet d’une révision au Tribunal administratif du travail.
- Plaintes de maintien de 2015À ce jour, aucune conciliation n’a été réalisée avec le Conseil du trésor. Toutes les plaintes de maintien de 2015 sont actuellement aux services des enquêtes de la CNESST. Celle-ci a entamé son enquête à laquelle participent les fédérations et la CSQ.
- Plaintes de maintien de 2020En coordination avec les associations accréditées, des plaintes de non-conformité ont été déposées à la CNESST. Actuellement, la CSQ ainsi que d’autres organisations syndicales sont actuellement en conciliation pour ces plaintes. La conciliation se tient avec la CNESST et le Conseil du trésor. Ce processus a débuté dernièrement donc il y a peu à dire pour le moment.
Depuis son adoption en 1996, la Loi a été modifiée, d’abord en 2009, puis en 2019. Les changements apportés en 2009 ont notamment fait en sorte d’obliger les employeurs à procéder au maintien de l’équité salariale tous les cinq ans.
Ces modifications ne prévoyaient pas toutefois un effet rétroactif sur les salaires à la date où une discrimination est survenue. La Centrale ainsi que plusieurs organisations syndicales ont jugé ces modifications inconstitutionnelles et ont porté la cause devant les tribunaux.
C’est en 2018, presque 10 ans après que la cause a été portée devant les tribunaux, que la Cour suprême du Canada a donné raison à la Centrale et aux autres organisations syndicales, en affirmant que les nouvelles mesures créaient un régime discriminatoire envers les femmes.
Malheureusement, les nouvelles dispositions, sanctionnées en 2019, n’ont pas réglé tous les problèmes et ont même introduit des éléments problématiques jugés encore discriminatoires. Avec d’autres organisations syndicales, la CSQ a intenté un nouveau recours judiciaire visant à contester certaines dispositions de la Loi.
En 2021, la Cour d’appel du Québec a donné raison à la Centrale et aux autres organisations syndicales en reconnaissant que le maintien périodique créait un régime discriminatoire envers les femmes. La décision a permis au litige d’aller de l’avant devant la Cour supérieure.
Parmi les éléments problématiques introduits par les nouvelles dispositions de la LES, il y a celui concernant les milieux de travail exclusivement féminins. La CSQ et d’autres organisations syndicales ont dénoncé le fait que les employeurs des entreprises qui n’ont pas de comparateurs masculins, comme c’est le cas pour les centres de la petite enfance, pouvaient appliquer les correctifs salariaux résultant de l’équité salariale en date du 5 mai 2007, plutôt que rétroactivement au 21 novembre 2001. Les femmes travaillant dans les entreprises visées voient leur droit à un redressement salarial reporté de six ans. Les personnes touchées par cette décision exercent pourtant déjà un métier traditionnellement sous-rémunéré.
La Cour suprême du Canada a statué que les correctifs salariaux doivent être rétroactifs au moment où une discrimination est apparue dans une catégorie d’emploi à prédominance féminine, plutôt qu’à la date où les résultats des travaux doivent être affichés.
Il existe deux façons de traiter les sommes dues aux personnes salariées : la somme forfaitaire et l’ajustement salarial.
La somme forfaitaire est versée lorsque le changement ou l’évènement à l’origine de la discrimination possède une date de début et de fin dans la périodicité de cinq ans.
- Par exemple : Si l’évènement ayant créé un écart salarial a débuté le 1er septembre 2018 et s’est terminé le 1er janvier 2019, l’employeur doit, lors des travaux de maintien de l’équité salariale de 2020 (qui couvre de 2015 à 2020), verser une somme forfaitaire à chaque personne salariée de la catégorie d’emploi touchée qui était en emploi durant cette période.
L’ajustement salarial, quant à lui, est versé lorsque le changement ou l’évènement à l’origine de la discrimination possède une date de début, mais pas de fin dans la périodicité de cinq ans.
- Par exemple : Si l’évènement ayant créé un écart salarial débute le 1er septembre 2018 et se termine après la période qui couvre de 2015 à 2020, un ajustement salarial doit être versé à chaque personne salariée de la catégorie d’emploi touchée qui était en emploi durant cette période.
La somme forfaitaire et l’ajustement salarial sont payables lors du nouvel affichage. Si l’employeur n’effectue pas le paiement ou le changement du salaire à ce moment, des intérêts légaux de 5 % s’appliquent sur les sommes dues.
Il reste encore beaucoup de travail à faire pour atteindre une véritable équité salariale. Des milliers de plaintes sont toujours en traitement à la CNESST concernant l’évaluation du maintien 2015 et 2020. Le Conseil du trésor fait preuve d’un manque flagrant de volonté d’appliquer la LES, ce qui rend la situation instable.
L’équité salariale a toujours été un dossier prioritaire pour la Centrale.
La Centrale entend poursuivre la bataille sur plusieurs plans, notamment en faisant reconnaitre l’équité salariale comme un droit fondamental qu’on ne peut négocier. Notre organisation croit qu’on ne peut reculer sur une question aussi stratégique et qui s’inscrit en droite ligne d’une égalité de faits pour les femmes.
La CSQ réclame notamment :
- Le droit à une évaluation juste et équitable lors de l’évaluation du maintien de l’équité salariale pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs;
- Une transparence essentielle dans l’information utilisée pour réaliser le maintien;
- La participation des syndicats lors de l’évaluation du maintien par la mise en place de comités de maintien de l’équité salariale.
La CSQ a mis en branle une stratégie de communication et de dénonciation politique à l’automne 2021 qui avait comme objectif de revendiquer que le législateur bonifie la LES, qui a un effet discriminatoire, pour, entre autres, retirer les sommes forfaitaires afin d’accorder l’ajustement salarial qui permet de corriger les écarts salariaux rétroactifs à la date de l’évènement et qu’il s’assure de payer toutes les sommes qui sont dues.
Il faut rappeler au gouvernement que la LES a un effet majeur sur des milliers de salariées et salariés des réseaux de l’éducation, de la petite enfance, et de la santé et des services sociaux.
De plus, la mise en œuvre du plan d’action collective de nature sociétale pour l’année 2024-2025, l’équité salariale est une des thématiques adoptées. Le plan d’action sera adopté au prochain CG.
Appliquer la Loi, c’est reconnaitre à leur juste valeur nos emplois!